JE N’AIME PAS LES MURS DE MEDISANCES
Médire, c’était l’activité préférée des femmes de ma famille en Lorraine, presque un sport national. On médisait de mère en fille, cachées derrière les persiennes à demi-fermées dans le village familial.
Nous venions tous les ans au mois d’août en vacances chez ma grand-mère, 3 semaines exactement, la moitié des 42 jours de vacances de mon père, gendarme en région parisienne. L’autre moitié était consacrée à un séjour dans le village champenois de la famille de ma mère.
Tout était propice à la médisance chez ma grand-mère : les animaux, les objets, les situations, mais c’était quand même les voisins et surtout les voisines qui constituaient les sujets favoris. Ensuite venait la famille.
Il faut dire qu’ils étaient tous sur place : ma grand-mère, veuve depuis l’âge de 59 ans, ses 3 enfants, leurs conjoints et leur descendance. Beaucoup de matière première donc.
Il fallait des têtes de turc, Jean, le frère cadet de mon père. était une cible de choix, mais il y avait encore plus intéressant, Roger, le gendre détesté qui avait épousé Marie-Thérèse, la fille de ma grand-mère.
Elle se déchaînait contre l’un ou l’autre quand il n’y avait rien à se mettre sous la dent derrière les persiennes.
Moooon ! sifflait-elle lorsqu’une des femmes de la famille qui s’ennuyait ferme, assise sur une chaise pour un après-midi enfermé et sans intérêt, prononçait sournoisement l’un des 2 prénoms.
Pascal, le fils de Jean, qui avait une dizaine d’années à l’époque, faisait aussi souvent office de déclencheur compte tenu des innombrables bêtises qu’il additionnait. Elle se déchaînait alors sur la mollesse de l’éducation que lui donnait Suzanne, sa mère …
Etant une fille, je faisais malheureusement partie de la tablée et j’écoutais ces médisances en rêvant de rejoindre les garçons, mon frère et mes cousins, partis à la pêche dans le Madon voisin avec mon père. Au mieux, je pouvais faire de la broderie ou alors aller jouer dans la chambre du fond si une de mes cousines était là.
C’était une bien triste vie que de n’avoir pour occupation que d’espionner et critiquer celle des autres.
C’est à cette époque-là que j’ai décidé de sauter par-dessus les murs de médisances dès que ce serait possible…
J’AIME ENJAMBER MES HEURES NOIRES
Mes heures noires, c’est l’adolescence quand je ne ressemblais à rien, cheveux longs filasses sur figure bouffie, robe cousue maison, jambes en poteaux.
Mes heures noires, c’est le lendemain d’un mariage et le vide devant.
Mes heures noires, c’est la dépression après la naissance de mon fils,
Ces heures noires je les ai enjambées :
- Par l’achat d’un jean convoité
- Le regard plein d’amour de cet autre épousé
- Le rire de gorge du bébé effrayant.
Depuis, je continue d’enjamber mes heures noires et j’avance dans une vie pleine de couleurs.