Puis
les Allemands sont venus à leur tour, la peur aussi. Ils étaient
durs.
L'abbé Boyer ressentait la tension de ces jours-là :
"Mais après, il a fallu changer d'attitude avec l'occupation allemande.
Le décor aussi avait changé et ce n'était pas du tout le
même genre, il fallait faire attention. Il y a eu quand même une
résistance qui se manifestait. Il y a eu La Milice à côté de
chez moi. Alors tous les matins, il y avait le grand cinéma et combien
de fois, je les voyais monter armés dans une camionnette, partir en chasse.
Vous vous imaginez ce qu'ils allaient chasser, d'autres Français, des
résistants !”
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Après ces années, des femmes n'ont pas oublié. Parmi elles, Mme Ferrier à Montferrat :
“Nous allions à l'école, dont la moitié seulement était
réquisitionnée par les Allemands pour y entreposer leurs
marchandises. Le village était fermé par des barrières,
une en haut et une en bas. On le prenait comme un jeu. On allait donner à manger
aux poules et on était obligé de passer sous la barrière
sur les carrioles que nous avions construites.”
Pour son jeune cœur d'enfant, c'était beaucoup.
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Mme
Nanelli a conservé, elle aussi, ce souvenir :
“Un jour, un gosse est allé à la boulangerie
réservée aux Allemands. Ils faisaient leur pain, rue
Pierre Clément. Un soldat a braqué l'arme sur l'enfant
qui a eu la vie sauve grâce à l'intervention d'un homme
sur les lieux. De même, ils interdisaient d'étendre
le linge à la fenêtre de peur que ce ne soit un code.”
Ici,
on ne parlait pas de déportation ou alors à mots couverts.
Le mot était terrifiant. Etre déporté, n'être
plus qu'un numéro, un matricule, n'être plus personne.
Avoir été transporté loin, ailleurs, avoir peur, être
humilié, avoir froid jusqu'à en mourir, avoir faim jusqu'à ne
plus tenir debout. N'avoir plus rien, n'être plus rien. Revenir, être
un survivant, rire avec la politesse du désespoir, essayer de
se reconstruire, de cicatriser cette blessure qui ne se refermera jamais.
Mais vivre encore et debout… |